CHAPITRE XXVIII

XAVIER se réveilla en sursaut. L’écho d’un cauchemar lui martelait les tempes, battant au rythme de sa migraine.

Il s’était assoupi. Il jeta un coup d’œil à un écran mural qui affichait une horloge. Deux heures avaient passé. Pavelic était toujours affalé dans son fauteuil. Sa tête pendait sur sa poitrine. De temps à autre, ses doigts frémissaient, seul indice qu’il était en vie.

Xavier alla changer Valrin de position, prenant soin à ce que sa tête reste parfaitement immobile dans son carcan technologique. Puis il grignota des biscuits, vida une canette. La fatigue transformait les aliments en morceaux fades et sucrés.

Les micromachines poursuivaient leur étrange ouvrage collectif, élaguant rameau par rameau la folie de Valrin. Ou plutôt la rongeant telle une colonie de fourmis. Pavelic sortit à nouveau de sa plongée. Des cernes violacés creusaient ses orbites oculaires. Il alla se soulager aux toilettes, but abondamment et mangea peu.

« Vous ne voulez pas dormir une heure ? s’enquit Xavier. Je vous réveillerai. »

Le médecin secoua la tête.

« Si je m’endors, vous n’arriverez plus à me réveiller. Sans instructions, l’opération échouera. Mais pas d’inquiétude, j’ai des pilules pour rester en éveil trois jours d’affilée. Exactement ce qu’il me faut. »

Il demanda à Xavier de lui passer une pommade anesthésiante sur la nuque, en insistant sur le pourtour douloureux de son implant neural.

« Ça va, grommela-t-il enfin, vous en avez assez fait. Foutez-moi la paix maintenant. »

Il reconnecta la prise et s’effondra dans son fauteuil. Il ne lui fallut que quelques instants pour reprendre le fil de l’opération.

Cinq fois, Xavier prodigua des soins d’infirmier à Valrin. Il s’apprêtait à recommencer lorsque Pavelic sortit de sa transe. Depuis qu’il avait pris ses pilules, ses mains ne tremblaient plus, mais il était livide.

« C’est fini », dit-il, et, pendant l’espace d’une fraction de seconde, Xavier crut que Pavelic avait échoué. Que la conscience de Valrin s’en était définitivement allée.

« Les micromachines sont en train de s’évacuer par les urines, poursuivit Pavelic.

— Quel est le résultat ? »

Le neurochirurgien passa une main lasse sur son front. Des veines saillaient à ses tempes.

« On ne le saura qu’une fois qu’il sera réveillé. Ce ne sera pas avant trois ou quatre heures. Mais il est impossible de le garder ici. Je vais vous aider à le raccompagner à vos quartiers.

— Il ne vaut mieux pas, répondit Xavier après une seconde de réflexion. S’il y avait une chambre de l’hôpital…

— Elles sont pleines.

— Je ne peux pas le ramener en fauteuil roulant. Les gardes de la sécurité trouveraient cela bizarre.

— Je vais vous trouver un endroit. Ma besogne s’arrêtera là. Quand vous franchirez la porte, nous ne nous reverrons jamais plus. Si on m’interroge, je ne vous connais même pas. »

Xavier acquiesça.

« J’y vais tout de suite, fit Pavelic. Vous pouvez retirer le casque et les courroies qui le relient à la table. »

Il s’absenta cinq minutes puis revint avec un fauteuil roulant. Pendant qu’ils l’installaient, Xavier ne put s’empêcher d’examiner le visage endormi de Valrin, comme pour y lire la transformation qui avait dû s’opérer en lui.

Et si cela n’avait rien changé ? Si Valrin était le même en se réveillant ? Le mieux serait de le ligoter sur son lit, le temps qu’il se calme.

Mais à quoi bon ? S’il avait échoué, peu importait ce qui arriverait. Il n’avait eu aucun droit d’intervenir dans la vie de Valrin, et ce dernier aurait le droit de lui faire payer sa trahison.

Pavelic les guida à travers un labyrinthe de couloirs jusqu’à une arrière-salle. Il y avait toujours autant de réfugiés, mais plus beaucoup de Pèlerins.

« Où sont-ils tous passés ? s’étonna Xavier tandis qu’ils allongeaient Valrin sur une civière.

— Ils regardent le départ du Notos vers l’une des Trois Portes. Je croyais que vous étiez au courant… »

Il prit congé sans un adieu, mais Xavier le remarqua à peine. Il demeura assis auprès de Valrin, sans réaction, pendant une éternité. Enfin il déplia ses jambes, sortit et referma doucement la porte derrière lui. Jana était partie. Son destin s’était accompli. D’un pas somnambulique, il retourna à ses quartiers. Dans les coursives, des écrans retransmettaient l’image du Notos en train d’accélérer. Stupidement, Xavier se demanda comment on pourrait l’empêcher d’atteindre la vitesse de transfert. Il savait que c’était impossible, rien n’arrêterait plus le Vasimar qui n’était qu’à quelques milliers de kilomètres des Trois Portes. Il avait la sensation que ce voyage était aussi irréversible que s’ils s’engouffraient dans le trou noir.

Comme il s’y attendait, la chambre de Jana était vide. Il se rendit dans la sienne.

« Messages ? »

Sa voix était aussi faible que celle d’un enfant.

« Quatre messages, répondit la voix synthétique de l’écran. Expéditeur : Jana. »

Xavier sentit la pièce tourner autour de lui. Il tremblait convulsivement. Les trois premiers messages ne duraient que quelques secondes ; Jana lui demandait de la rappeler. Le quatrième était différent. Xavier l’écouta, l’écouta encore.

« S’il se produit vraiment, le saut comporte bien un risque, disait-elle. S’il nous projette dans le Multivers, le vaisseau sera aussitôt annihilé. Si nous survivons et que nous rencontrons les Vangk, rien ne dit qu’ils seront aussi amicaux que les Pèlerins le croient. Mais peu importe, il faut que je sache. Les Pèlerins peuvent faire de moi ce qu’ils veulent, cela ne me touche pas. En revanche, je ne pourrais pas supporter qu’il t’arrive quelque chose, à toi. À bientôt, Xavier. Je l’espère de tout cœur. »

Xavier songea aux heures qu’il avait passées dans le laboratoire de Pavelic, obnubilé par le sort de Valrin. Peut-être avait-il refusé de faire face au choix qui s’offrait à Jana. Ou peut-être avait-il pris la décision lui-même en ne consultant pas sa messagerie. Il ne le saurait jamais. Jana, perdue, retrouvée puis perdue à nouveau. Elle lui apparut à l’image du trou noir d’Alioculus : invisible et puissante, le maintenant prisonnier dans son orbite. Le sentiment de perte creusait un vide en lui, qui l’anesthésiait. Bientôt, ce vide se gorgerait de peine telle une plaie se gorgeant de sang.

Il ordonna à l’écran d’afficher les images du Notos. La chaîne interne du Vasimar les diffusait en direct. L’orbiteur n’était plus qu’à quelques kilomètres de la Porte la plus proche.

Ce fut à l’instant où le Notos la traversa et disparut que Valrin ouvrit les yeux.

La mécanique du talion
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